« -C’est bon, maman, je peux m’habiller tout seul. »
Ludovic repoussa sa mère. Celle-ci tentait d’arranger le col de son polo bleu. Sa rebuffade eut l’air de la chagriner, mais elle se força à adopter un ton enjoué.
« -N’oublie pas de m’appeler si tu rates ton bus, aujourd’hui je finis plus tôt. Je pourrais aller te chercher au collège. »
Ludovic acquiesça, le regard vague. Il ramassa son sac dans l’entrée, le jeta sur ses épaules et partit sans même dire au revoir. Il ne vit pas sa mère le suivre des yeux au travers de la porte vitrée.
« -Tu ne veux pas sécher les cours aujourd’hui ? J’en ai assez de passer mes journées à t’attendre alors que tu suis des cours dont tu n’as rien à faire ! »
Ludovic soupira.
« -Peu importe qu’ils m’intéressent ou pas. Je suis obligé de les suivre. »
Ils arrivèrent à l’arrêt de bus. Ludovic s’assura qu’il n’y avait alentour avant de poursuivre.
« -Pas seulement pour ma mère, d’ailleurs. On ne peut pas vivre correctement si on ne va pas à l’école.
-N’importe quoi. Moi, je voudrais passer ma vie à voyager, j’ai toujours envie de bouger. »
Et elle esquissait des pas de danse en disant cela. Ludovic la regarda. Elle était tout simplement radieuse avec ses cheveux qui virevoltaient autour de son visage épanoui.
« -… Tu ne manges pas, tu ne bois pas, tu n’as besoin ni de toit ni de quoi que ce soit d’autre. Je ne suis même pas sûr que tu dormes. »
Eva sourit mystérieusement.
« -De toute façon, tu ne restes jamais avec moi en classe. Tu passes ton temps à te balader Dieu sait où.
-Ah, qui sait… » répondit-elle d’une voix chantante. « Si je ne suis qu’un produit de ton imagination, alors c’est toi qui… Hé ! »
Ludovic avait bondi en avant, les doigts tendus, pour essayer d’attraper son bras, mais elle réagit avec une rapidité incroyable et se recula d’un coup. La main de Ludovic se referma dans le vide.
« -Dommage », regretta-t-il. « J’y étais presque.
-Même pas en rêve », sourit Eva. « De toute façon, à quoi ça t’avancerait, hein ? Tu aboutirais exactement à la même conclusion que d’habitude.
-Je sais. N’empêche que ça m’intrigue. »
Ludovic se leva en voyant le bus approcher. A bord du véhicule, comme à son habitude, il observa Eva se frayer le plus naturellement du monde un chemin entre les usagers qui étaient debout dans l’allée centrale. Elle se penchait toujours au bon moment, se déplaçait toujours de manière à éviter le moindre contact. Malgré cette précision impressionnante, elle ne semblait même pas faire attention aux mouvements des gens qui l’entouraient. Ce mode de déplacement était une des choses que Ludovic ne parvenait pas à s’expliquer. Bientôt Eva fut assise à ses côtés.
« -Et on salue l’artiste ! » rit elle. Cette obsession qu’entretenait Ludovic sur ses relations avecle monde extérieur l’amusait beaucoup. Ce dernier fit mine de ne pas l’avoir entendue. Que penseraient les passagers s’il se mettait (apparemment) à parler tout seul ? Eva d’ailleurs, n’attendant pas de réponse, s’était étirée de tout son long sur son siège, les yeux fermés et les dex mains derrière la tête. Ludovic savait par expérience que personne ne chercherait à s’asseoir à ses côtés tant qu’Eva ne changerait pas de place. Il savait également qu’il serait inutile de tenter de la surprendre dans cette position de vulnérabilité : avertie par un mystérieux sixième sens, elle échapperait sans problème à sa poigne.
Peu importait après tout. Ludovic n’avait pas besoin de toucher Eva pour ne pas douter de son existence.
Le bus démarra.